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Juridique

Présentation des comptes annuels : Entre TRANSPARENCE comptable et RESPONSABILITÉ PÉNALE

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L’exigence de sincérité des comptes annuels constitue l’un des points cardinaux du droit comptable. Elle a trouvé sa pleine expression juridique dans la notion d’« image fidèle » des comptes sociaux, qui impose une représentation honnête et transparente de la situation économique de l’entreprise. Pourtant, entre normes légales et règlementaires, appréciation subjective et choix de gestion, la démarcation entre irrégularités comptables et infraction pénale demeure souvent sensible. En droit pénal, le délit de présentation de comptes infidèles vient sanctionner la volonté délibérée de « travestir » la réalité financière. Il ne suffit pas que les comptes soient erronés : encore faut-il démontrer une intention de tromper. Dans cette perspective, prudence comptable et responsabilité pénale sont souvent aux antipodes : Ainsi en est-il de la constitution ou l’omission de provisions qui peut devenir un terrain « sensible ». Les décisions judiciaires jouent ici un rôle crucial, traçant les limites de la faute punissable. Une analyse des vingt-cinq dernières années de Jurisprudence a permis de mener une étude détaillée sur le sujet. En voici quelques aspects.

Aux origines du droit comptable et pénal : quelques repères chronologiques 

La tenue des livres de commerce, imposée dès l’Ordonnance royale de 1673, a très tôt marqué l’importance de la transparence dans les échanges marchands. Avec la loi de 1867 consacrant la Société Anonyme, le capital social devient le gage des créanciers et la fonction du Commissaire de surveillance se précise pour contrôler la régularité des comptes. Pourtant, l’inexactitude du bilan ou de l’inventaire n’était pas encore incriminée, l’arsenal pénal se limitant au faux en écriture privée.

Le principe de prudence trouve sa consécration au milieu du XIXe siècle, à la suite des scandales des sociétés en commandite par actions. La loi du 17 juillet 1856 crée notamment le délit de distribution de dividendes fictifs. La Jurisprudence en élargira la portée, en sanctionnant la comptabilisation de plus-values incertaines en produits dans l’affaire Mirès (1860-62), ou encore les pratiques des frères Pereire au Crédit Mobilier dès 1852 ; mais c’est insuffisant au regard par exemple des falsifications du Canal de Panama en 1889. Ces décisions illustrent pourtant la vigilance judiciaire montante face aux artifices visant à masquer des déficits.
Sous la IIIe République, l’encadrement comptable se renforce. L’inventaire devient obligatoire, la comptabilité de gestion s’inspire des travaux de Taylor (1902) et Fayol (1916). Mais sur le plan pénal, l’inexactitude des comptes n’entraîne répression que si elle vise la captation frauduleuse de l’épargne. Le basculement intervient avec les affaires Hanau (La Banquière, 1931) ou encore l’affaire Oustric (1933), qui débouche sur les décrets-lois d’août et octobre 1935 créant un délit autonome de bilan inexact, même sans distribution de dividendes. Le bilan acquiert une fonction juridique et protectrice, engageant la responsabilité de l’entreprise et de ses dirigeants.

La loi du 24 juillet 1966 consolide le dispositif pénal, tandis que le Plan Comptable Général de 1947, révisé en 1957, impose un véritable cadre normatif. Le droit européen parachève cette évolution : la directive 78/660/CEE du 25 juillet 1978, transposée par la loi du 30 avril 1983, érige l’« image fidèle » en principe cardinal. 
L’ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 incrimine explicitement la présentation ou la publication de comptes qui ne reflètent pas le résultat, la situation financière ou le patrimoine (C. com., art. L.241-3, 3° et L.242-6, 2°). Le délit de présentation de comptes infidèles est prévu dans le Code pénal français, et les articles y afférents ont été modifiés à plusieurs reprises. L’article 314-1 a été introduit par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 : « Le fait de présenter ou de faire présenter des comptes infidèles, en faisant des omissions ou des inexactitudes, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375.000 euros d’amende. »
Enfin, la directive 2013/34/UE, transposée en droit français par l’ordonnance n° 2015-900 et par les règlements de l’ANC, modernise le régime comptable européen renforçant le délit.

La reconnaissance du délit 

Le délit de présentation de comptes inexacts repose sur une double exigence : la falsification de l’image fidèle et la réalisation d’actes matériels précis.
L’image fidèle au centre du délit. La notion d’image fidèle, au fondement du délit, demeure inséparable de l’appréciation judiciaire. Les irrégularités mineures, sans incidence notable sur la situation globale, ne suffisent pas à emporter sanction. Ainsi, la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 31 janv. 1995, Dr. sociétés 1995 p.17) a refusé d’imputer une responsabilité pénale à de simples erreurs d’interprétation.

À l’inverse, les altérations délibérées de l’actif ou du passif caractérisent le délit. L’omission volontaire d’une provision pour perte de valeur équivaut à une falsification de l’image patrimoniale (Cass. crim., 9 nov. 1992, Bull. crim., n° 364). Les anomalies relatives au passif ont également été sanctionnées, comme la surévaluation manifeste des apports constitutifs du capital social (Cass. crim., 27 janv. 1990, Bull. crim., n° 35). Les manipulations de réserves, qu’il s’agisse de masquer des revenus imposables (Cass. crim., 3 avril 2007, n° 06-84.370) ou d’évincer les minoritaires en gonflant artificiellement des postes de réserves (CA Paris, 15 juin 2010, n° 08-09537), relèvent du champ répressif.

La Jurisprudence...

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