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Entreprise

Les différentes formes de harcèlement dans le monde du travail

©Andrey Popov - stock.adobe.com

En  2022, Maître Anne-Marie Mendiboure, Avocate au Barreau de Bayonne, spécialiste du droit du travail, donnait une conférence pour l’association Femme 3000 au sujet des différentes formes de harcèlement dans le monde du travail. Cette association a pour objectif de rendre visible les femmes, à travers leurs parcours personnels ou professionnels et met ainsi régulièrement à l’honneur l’une d’elles.

Le harcèlement au travail est une notion juridique complexe car elle répond à des critères précis, à des jurisprudences très nombreuses et développées, et qui ne cesse d’évoluer au fil des années. C’est d’autant plus flagrant en matière de harcèlement sexuel et sexiste au regard de la loi qui a largement progressé ces dernières années, notamment depuis 2008.

Le harcèlement moral

Le harcèlement moral est une notion juridique assez récente qui existe depuis la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002. Dans le cadre professionnel, il est défini par l’article L 1152-1 du Code du travail stipulant qu’« aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. » Cet article s’applique tant aux employeurs de droit privé qu’aux employeurs de droit public (avec une spécificité supplémentaire intégrée dès la loi de juillet 1983 pour les fonctionnaires), de même qu’aux salariés.

Depuis 2010, il s’agit également d’une incrimination pénale inscrite dans l’article L 222-33-2 du Code pénal qui précise que « le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel est puni de 2 ans d’emprisonnement et 30.000 € d’amende. »

Le harcèlement moral est à distinguer du pouvoir managérial. En effet, dans les dossiers plaidés devant les juridictions, l’argument le plus régulièrement opposé est que les agissements relèvent du pouvoir de direction de l’employeur et qu’il est normal de donner des ordres à un salarié et que ceux-ci soient répétés. Bien entendu, bien que cela soit une vérité, les conditions de passation de ces ordres doivent être insusceptibles de constituer un harcèlement moral.

La Cour de cassation, qui est la juridiction suprême en France, a rendu de nombreuses décisions en matière de harcèlement managérial, précisant de surcroit que pouvaient être poursuivis des faits de harcèlement moral qui s’appliquent à plusieurs salariés dans une entreprise. C’est-à-dire qu’une certaine méthode de gestion peut s’assimiler à du harcèlement moral, même si elle ne s’adresse pas à une personne en particulier.

Concrètement, le harcèlement moral répond à deux conditions précises :

• des agissements répétés

• qui vont engendrer, ou qui sont seulement susceptibles d’engendrer une dégradation des conditions de travail ou de santé (mise au placard, réflexions désagréables répétées, travail dépassant les capacités d’exécution, etc.).

De ce fait, deux agissements répétés, qui ne sont pas forcément identiques, sont suffisants pour être qualifiés de harcèlement moral. Précisons que le harcèlement peut autant être réalisé par un supérieur hiérarchique que par un collègue de travail.

La notion de harcèlement moral s’est développée autour de textes européens avec une conception du régime de la preuve qui est très différente de ce que nous connaissons habituellement en droit français et qui est allégé. Ainsi, les victimes n’ont pas à prouver la réalité du harcèlement moral, mais simplement à amener devant le juge des éléments de faits laissant supposer son existence. Il n’est pas non plus nécessaire que les agissements que l’on peut qualifier de harcèlement moral aient atteint leur but. Il est important de noter également que la dégradation des conditions de santé, ayant amené la médecine du travail à déclarer une personne inapte, peut être considérée comme du harcèlement moral. À condition, bien évidemment, que l’inaptitude soit la conséquence de Par Marie Barace Perromat l’attitude de l’employeur. C’est ensuite à l’employeur de démontrer que les faits présentés par le salarié ne sont pas constitutifs de harcèlement moral et que la décision prise est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (article L 1154-1 du Code du travail).

Le Juge doit prendre en compte l’ensemble des éléments qui lui sont soumis et doit les analyser dans leur globalité pour qualifier ou non un harcèlement moral. Il est, en effet, impossible de les prendre un par un et les écarter au fur et à mesure.

Il faut être vigilant concernant cette notion de harcèlement moral, car elle peut être instrumentalisée par les salariés, avec pour simple objectif de créer un conflit, d’essayer d’obtenir une compensation financière ou encore de justifier de la rupture d’un contrat de travail par faute de l’employeur. Si les faits sont constitutifs de dénonciations ou de faits mensongers, ils peuvent heureusement entraîner un licenciement pour faute grave. Un autre point d’attention concerne la manière dont on diffuse les éléments, car il ne faut pas tomber dans du harcèlement moral inversé. En théorie, le cas doit être dénoncé auprès de l’employeur, et ne pas être « crié en place publique », même si cela se complique lorsque le harceleur est l’employeur lui-même. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle des dispositifs doivent être mis en place dans les entreprises en amont pour répondre à ce type de configuration. En ce sens, les articles L 4121-1 du Code du travail et suivants obligent l’employeur à prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ainsi, l’employeur a une obligation d’information de ses salariés et des responsables de l’entreprise, de formation et d’intervention. Concernant ce dernier point, lorsqu’une situation de harcèlement moral est dénoncée auprès de l’employeur ou des représentants du personnel, une alerte doit être portée devant le CSE (Comité Social et Économique) et des mesures doivent être prises. La première est la mise en place d’une enquête, afin de déterminer si les faits qui sont dénoncés par le salarié semblent réels ou non. La seconde concerne la protection de la victime.

Le harcèlement discriminatoire

S’il n’est pas transposé dans le Code du travail, le harcèlement discriminatoire résulte cependant d’une directive européenne ainsi que de l’article 1 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008.

Il se définit par « tout agissement lié à un motif prohibé, subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Les critères de discriminations prohibés sont listés de manière exhaustive : l’origine, le sexe, la situation familiale, la grossesse, l’apparence physique, la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique apparente ou connue de l’auteur [de la discrimination], le patronyme, le lieu de résidence, la domiciliation bancaire, l’état de santé, la perte d’autonomie, le handicap, les caractéristiques génétiques, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’âge, les opinions politiques ou philosophiques, les activités syndicales, la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée.

En dehors de ce point particulier de motif prohibé, le harcèlement discriminatoire répond aux mêmes critères de dénonciations et de jugement que le harcèlement moral, si ce n’est qu’un seul fait suffit (contre deux).

Le harcèlement sexuel ou sexiste

Ces dernières années, les mouvements tels que Me too ont entraîné pléthore de dénonciations pour harcèlement sexuel. Le législateur a, dans ce cas précis, était très rapide, beaucoup plus d’ailleurs que la société en général. Le harcèlement sexuel ou sexiste est lui aussi défini par la loi du 27 mai 2008 du Code civil. Il est transposé au Code du travail dans l’article L 1142-2-1 et précisé par l’article L 1153-1. Il est également inscrit dans le Code pénal, à l’article L 222-33.

Ainsi, le harcèlement sexuel est constitué par « tout agissement – propos ou comportements - à connotation sexuelle ou sexiste, subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Le harcèlement sexuel est également établi lorsqu’un même salarié subit de tels propos ou comportements venant de plusieurs personnes, même en l’absence de concertation. De même, toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers relève du harcèlement sexuel.

Le harcèlement sexuel et sexiste constitue une faute grave dont la conséquence est le licenciement, même lorsqu’il s’agit « seulement » de jeux ou plaisanteries. La tolérance zéro est de rigueur et il est nécessaire de protéger les victimes potentielles par la mise en place de mesures appropriées, notamment en rappelant sans cesse que l’humour n’est pas une justification recevable. Il faut que les personnes victimes de harcèlement sexuel ou sexiste – bien souvent des femmes – osent dénoncer, déposer des plaintes, saisir le Conseil des prud’hommes, et surtout ne pas céder à la pression de groupe. Rappelons enfin que selon une enquête de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) de 2014, 1 femme sur 5 aurait été victime de harcèlement sexuel sur son lieu de travail, prouvant ainsi la généralisation de ce phénomène ; d’où l’importance d’affronter la peur, de se faire aider par des avocats, des associations spécialisées et des psychologues.