Le RÉARMEMENT de la France s’organise au niveau territorial
Sous l’égide de Jean-Marie Girier, Préfet des Pyrénées-Atlantiques, et du Général Jean Laurentin, commandant les actions spéciales Terre et Délégué militaire départemental des Pyrénées-Atlantiques, une conférence d’envergure s’est tenue jeudi 3 juillet 2025 à Bidart, autour du thème aussi stratégique que sensible : le réarmement de la France.
Entre montée en cadence industrielle, innovation, souveraineté et sécurité économique, la réunion organisée sur le Campus de l’École Supérieure des Technologies Industrielles Avancées (ESTIA) a rassemblé acteurs civils, militaires, institutionnels et industriels autour de deux tables rondes thématiques : « Besoins des armées, mobilisation des compétences : renforcer le lien Défense-Industrie » et « Innovation locale et souveraineté : repérer, accompagner, sécuriser ».
Cette rencontre faisait écho à une première réunion, tenue à Pau le 30 juin 2025, qui avait déjà rassemblé 80 chefs d’entreprise. Accueillie par la Sous-préfète Joëlle Gras, instigatrice active du maillage entre l’État et le tissu local, cette session basque a marqué une nouvelle étape dans la stratégie nationale de mobilisation industrielle face aux bouleversements géopolitiques actuels.
Réarmer la nation, rebâtir la souveraineté
Dès l’ouverture, Jean-Marie Girier plante un décor sans équivoque : « Nous vivons une période de bascule stratégique. Tous les territoires ont une carte à jouer et l’objectif est que le nôtre joue la sienne ». Face à un contexte international opaque, changeant et déséquilibré, la France se prépare à la « haute intensité ». Entre la guerre revenue aux portes de l’Europe, la montée des menaces hybrides — cyber, informationnelles, spatiales —, l’émergence de nouvelles puissances étrangères qui ne suivent pas les lois et codes établis, la France engage une course contre la montre. 413 milliards d’euros sont alloués à la défense via la loi de Programmation Militaire 2024-2030, auxquels s’ajoutent 800 milliards d’euros dans le cadre du programme européen Rearm Europe. Des sommes colossales, un marché qui décolle, encore faut-il le connaître, savoir comment s’y positionner, quels interlocuteurs solliciter, quelles règles régissent cet univers à part.
Le Général Laurentin, représentant des armées dans le département, rappelle que « la loi du plus fort » a supplanté l’ordre multilatéral d’après-guerre. Dans ce nouveau monde, les armées françaises se transforment, délaissent le modèle expéditionnaire au profit d’une armée plus massive, préparée à des conflits prolongés et de différentes natures.
S’identifier, s’organiser, accélérer
Derrière les discours, un message clair : l’armée ne pourra pas monter en puissance sans l’appui du monde économique. D’où cette rencontre et le rassemblement de ces acteurs économiques stratégiques. L’objectif de l’événement était clairement affiché, pas de langue de bois ce jour-là : identifier rapidement les entreprises susceptibles de contribuer, les orienter vers les bons interlocuteurs, sécuriser leurs innovations et bâtir un réseau local réactif en cas de passage à une économie de guerre.
Du soutien logistique aux capteurs embarqués, des pièces mécaniques aux logiciels d’Intelligence Artificielle, tous les profils peuvent être utiles. Y compris ceux qui ne se savent pas encore concernés. Pour le Préfet, il est nécessaire de faire émerger un collectif de défense à l’échelle locale. « Ce que vous développez pour le civil peut basculer vers un usage militaire demain ». L’innovation en milieu civil a cela de formidable et d’avantageux qu’elle évolue vite, avec plus d’agilité et de flexibilité. En effet, la machine étatique, en raison de sa taille et de sa lourdeur administrative, se montre moins réactive et adaptable.
Les entreprises sont invitées à repenser leur rôle, leurs ressources, et leur engagement moral : « L’ancrage industriel ne fonctionnera pas sans ancrage civique », insiste le Préfet.
Des opportunités économiques
Une montée en puissance aux effets vertueux
La Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) représente déjà un terreau fertile : 220 000 emplois en France, 400 entreprises en Nouvelle-Aquitaine dont 80 dans les Pyrénées-Atlantiques. Dans le 64, la présence de maîtres d’œuvre comme Safran Helicopter Engines, Dassault Aviation ou Lauak génère un écosystème dynamique, dual (civil et militaire) et structurant.
Selon David Lebrun, Attaché d’industrie de la Direction Générale de l’Armement (DGA) en Nouvelle-Aquitaine, ce tissu doit désormais être consolidé, structuré, et élargi : « Notre action est d’orienter, soutenir, protéger, faire gagner en qualité et performance nos entreprises de la BITD, au profit de l’autonomie stratégique de la France ».
L’effet d’entraînement est double : renforcer les filières existantes tout en diversifiant les débouchés pour les PME, start-ups et ETI, qui pourront bénéficier d’accompagnements ciblés pour accélérer leur intégration dans la chaîne de valeur défense.
Un arsenal d’outils pour accompagner les entreprises
Plusieurs dispositifs concrets sont activés à l’échelle nationale et régionale. Le fonds Definvest, doté de 100 millions d’euros, permet à l’État de financer des entreprises stratégiques, alors que le fonds Innovation Défense, est destiné à soutenir la croissance des start-ups porteuses d’une technologie d’intérêt pour la défense. Autre outil, le guichet unique de l’Agence de l’Innovation de Défense (AID) facilite le référencement des technologies innovantes et l’accès aux appels à manifestation d’intérêt.
Bpifrance et la DGA déploient plusieurs leviers puissants : des diagnostics de performance industrielle, des audits cybersécurité pour renforcer la protection des entreprises sensibles, ou encore des prêts
Défense sans garantie, pour soutenir l’investissement en capacité ou en Recherche & Développement.
À l’échelle locale, l’Union des Industries et Métiers de la Métallurgie (UIMM) Adour Atlantique joue un rôle de trait d’union : études de positionnement, mise en relation avec les grands donneurs d’ordre, accompagnement dans les démarches administratives, ou encore développement de formations adaptées.
Mettre en avant ces éléments facilitateurs est un point crucial. En effet, malgré l’annonce d’investissements massifs, de nombreuses entreprises se montrent timides, voire frileuses, à pénétrer ce marché bien particulier. Gaëlle Girardi, Déléguée générale de l’UIMM Adour Atlantiques, pointe quelques freins identifiés par des dirigeants du réseau : des critères d’achats trop restrictifs, des difficultés à obtenir les bons contacts ou encore des tarifs trop bas.
De son côté, Jean-Baptiste Ado-Solaberrieta, Président de l’entreprise 432 Technologies (Saint-Jean-de-Luz), partage son expérience sur le marché de la défense. Ce sont les délais de paiement trop longs, les difficultés à obtenir les financements et la prédation existante — vol de technologie notamment — qui peuvent poser des défis.
Une réorganisation du tissu économique
Chacun a un rôle à jouer
L’armée appelle à repenser les équilibres entre haute technologie et production de masse. Les forces spéciales misent sur un équilibre entre systèmes low cost, civil détourné, et innovation de pointe. Il est donc question de préparer les entreprises stratégiques, même celles qui ne savent pas encore qu’elles ont un rôle à jouer, à une montée en cadence brutale. C’est un changement de rythme qui se prépare en amont et qui nécessite des investissements : embauches, achats de matériels, formations accélérées et ciblées, etc.
Pour soutenir l’effort, la base de défense de Pau-Bayonne-Dax parle de son côté d’appel à soutien national. En cas de crise, entreprises civiles, collectivités, et logistique privée devront appuyer les flux de réservistes, troupes alliées ou production d’urgence. « Il nous faut bâtir ce réseau maintenant », alerte le Colonel Petitcol, Commandant adjoint de base de Défense Pau - Bayonne - Dax. Le vivier de réserviste est appelé à grossir. Laurent Nicod, Ingénieur chez Alstom et officier de réserve, fait état de la nécessité de doubler le nombre de réservistes d’ici à 2030.
Un réarmement moral
Le réarmement ne se joue pas uniquement sur les chaînes de production. Il engage également les esprits. À travers le concept de « réarmement moral », les autorités appellent à redonner du sens à l’engagement industriel, à reconnecter les salariés à la finalité de leur travail. « Il est essentiel que les femmes et les hommes qui conçoivent, fabriquent ou testent du matériel militaire comprennent pour qui et pourquoi ils le font », a insisté le Préfet. Cette dimension, loin d’être symbolique, vise à consolider la cohésion nationale autour d’un projet commun : la protection du pays.
Dans cette optique, les entreprises sont incitées à favoriser l’engagement de leurs salariés dans la réserve opérationnelle. Comme l’a rappelé Laurent Nicod, cet engagement personnel est un pont entre la société civile et les armées, ainsi qu’un atout managérial.
Ce réarmement moral, enfin, est un appel au civisme économique : penser la souveraineté comme une œuvre collective, dans laquelle chaque entreprise — petite ou grande — a une mission à remplir.
Protéger l’économie et les technologies
La menace cyber, nouveau champ de bataille
La guerre ne se mène plus uniquement sur le terrain. « Chaque jour, la France est attaquée », affirme le Général Laurentin. Entre espionnage industriel, sabotage numérique et captation de données, les menaces invisibles prolifèrent. Trop d’entreprises détiennent des briques technologiques sensibles sans en avoir conscience.
Pour renforcer leur résilience, la DGA et Bpifrance déploient des outils ciblés — audits cybersécurité, référentiels de maturité, dispositifs de financement, accompagnement dans l’utilisation des leviers légaux — pour sécuriser les infrastructures critiques. L’enjeu est double : protéger les données stratégiques et éviter toute dépendance technologique vis-à-vis d’acteurs extérieurs, souvent situés hors de l’Union européenne.
La vigilance économique, un réflexe stratégique à cultiver
Au-delà des failles numériques, l’autre menace majeure : la captation technologique sous couvert de partenariats ou d’investissements. Il est nécessaire de s’armer d’un « réflexe souverain » dans les projets de collaboration. De nombreuses entreprises innovent dans des domaines sensibles sans s’en douter : IA, capteurs, matériaux avancés, etc. Il faut apprendre à penser ces actifs comme stratégiques.
La protection du patrimoine scientifique et industriel devient un impératif de souveraineté. Start-ups, PME technologiques, laboratoires de recherche sont tous concernés. Un partenariat actif entre l’État, les filières industrielles et les pôles d’innovation comme Aliénor (Nouvelle-Aquitaine) est en cours pour détecter, protéger et faire émerger ces pépites sans les exposer.
Cohésion et réalisme
En clôture de cette réunion dense, le Préfet a insisté sur la nécessité de structurer un réseau territorial solide entre les acteurs publics, les industriels, les Centres de formation, les forces armées et les collectivités. « Identifier et connaître » pour mieux coordonner les actions et pouvoir accélérer ensemble lorsque la situation l’exigera. « Nous sommes dans le réel et nous nous préparons à la haute intensité à l’horizon 2030 », martèle le Préfet. Dans le même souffle, il rappelle que l’objectif n’est pas seulement de mettre en place une organisation logistique, mais plutôt de préparer le terrain pour une capacité de résilience collective.
Le Général Laurentin a de son côté résumé avec éloquence l’esprit qui anime cette préparation, loin des discours belliqueux, mais sans déni du réel : « Ni naïveté, ni angélisme, ni catastrophisme. Nous ne sommes pas en guerre, mais vous l’avez compris : nous nous préparons à la guerre ». Il ajoute un rappel solennel : la défense nationale, aujourd’hui, ne se construit plus seulement dans les couloirs des états-majors ou dans les rangs de l’armée, mais bien au cœur des territoires, des entreprises, et de la société civile.
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