Anglet : Le Medef tire la sonnette d’ALARME
C’est sur le pont de L’Hermione que Patrick Martin s’est adressé, jeudi 17 avril 2025, à quelques adhérents du Medef Pays Basque. Un lieu choisi avec soin, en des temps où les relations entre la France - au même titre que l’Europe - et les États-Unis connaissent des tensions. La frégate est en effet la réplique du navire qui, en 1780, mena le marquis de La Fayette en Amérique pour annoncer au Général George Washington le soutien du royaume de France aux “Insurgents” engagés dans leur lutte pour l’indépendance © CJ
Ralentissement de l’investissement, frein à l’innovation, augmentation des risques budgétaires : le Medef alerte sur les fragilités persistantes de l’économie française. En déplacement au Pays Basque, son Président, Patrick Martin, plaide pour une réponse concertée, lucide et offensive face aux défis économiques actuels.
Jeudi 17 avril 2025, à bord de l’Hermione en cale sèche à Anglet, le décor avait des allures de symbole. Sur ce navire historique, Patrick Martin, Président du Mouvement Des Entreprises de France (Medef), a fait escale au Pays Basque pour prendre le pouls de l’économie locale et partager une vision lucide - parfois sévère - de la conjoncture économique nationale et internationale. À ses côtés, Olivier Neys, Président du Medef Pays Basque, et Bruno Arcadipane, Vice-Président national, ont complété un tableau d’une rare franchise sur les incertitudes qui étreignent les entreprises françaises.
Un climat d’incertitude généralisée
« Un empilage d’incertitudes », « une économie quasi à l’arrêt »… Patrick Martin n’a pas mâché ses mots pour décrire l’atmosphère qui pèse sur les entreprises françaises. Entre tensions commerciales exacerbées avec les États-Unis, ralentissement du marché chinois, instabilité politique intérieure et une dette publique qualifiée de colossale, le tableau est sombre. « L’incertitude est ce qui peut arriver de pire aux agents économiques », martèle-t-il. Une assertion confirmée localement par Olivier Neys : au Pays Basque, de nombreuses entreprises, notamment issues des secteurs agroalimentaire et aéronautique - Lauak, Agour ou Brana par exemple - et également de la glisse, craignent l’impact qu’auraient les hausses de droits de douane annoncées par les États-Unis.
À l’échelle nationale, ce climat d’affaires opaque et des décisions gouvernementales malhabiles ont des répercussions tangibles : retournement du marché de l’emploi, 90 000 emplois détruits au dernier trimestre 2024, recul de la filière du bâtiment, ralentissement du secteur numérique, et une chute des recettes départementales liées à la mise en place des DMTO (Droit de Mutation à Titre Onéreux) sur les transactions immobilières. Le diagnostic est sans appel : « Le panorama politique français est très pénalisant. On le sait tous, le Parlement français est incapable de prendre des décisions en ce moment », alerte Patrick Martin, en référence à la paralysie politique à l’Assemblée nationale. Un état de fait qui augmente encore l’incertitude ambiante et n’offre pas de solutions aux nombreuses problématiques qui émergent de toutes parts.
Un effet d’étranglement de l’économie française
« Il y a déjà des secteurs qui sont soumis aux droits de douane, notamment les 10 % appliqués par exemple dans les secteurs de la sidérurgie, de l’aluminium ou de l’automobile », rappellent Olivier Neys et Patrick Martin. Dans un contexte global complexe, les différentes filières font face à des contraintes spécifiques. Le Président du Medef évoque son passage à Cognac il y a moins d’un mois, au cours duquel, Donald Trump annonçait un taux de 200 % de taxes sur les vins et spiritueux. Une annonce qui est venue s’ajouter à des droits de douane déjà augmentés - de l’ordre de 35 à 40 % - depuis 14 mois côté chinois. Sur un territoire où la filière cognac représente 70 000 emplois, cela a eu l’effet d’une bombe.
Sur le Pays Basque, les entreprises font preuve de force et de résilience. La particularité du tissu économique local lui permet de tenir face aux mouvances actuelles. Néanmoins, Olivier Neys alerte en rappelant qu’entre « des prélèvements obligatoires très forts - les plus forts au monde -, les coûts matières qui ont explosé ces dernières années, des salaires qui ont aussi augmenté à cause de l’inflation, il ne reste plus beaucoup de leviers d’action aux entreprises ».
Les marges de manœuvre des entreprises
Face à ce climat, les entreprises adaptent leurs stratégies avec pragmatisme. « Réduction de marges diluées sur toute la chaîne de production, compression des coûts, diversification des marchés et des activités des entreprises », résume Olivier Neys. Les grandes et moyennes entreprises se sont mieux préparées et parviennent donc à amortir le choc, contrairement aux plus petites structures mono-activités.
Par ailleurs, « On assiste à une glaciation de l’investissement et de l’innovation », constate Patrick Martin, une tendance qu’il juge « préjudiciable dans un monde qui bouge très vite ». Il enjoint les acteurs de l’économie française à maintenir le cap pour rester dans la course face à des acteurs européens ou internationaux qui maintiennent leur croissance. Il appelle également l’État à donner les moyens à ces mêmes acteurs, pour tenir la distance dans un marché très compétitif, devenu moins une place d’échange qu’un véritable champ de bataille.
Certaines voies de résilience existent toutefois. La proximité de l’Espagne, en croissance, pourrait inspirer de nouveaux modèles. Mais pour Olivier Neys, si l’imitation est possible dans l’industrie, elle reste plus complexe dans les services, fortement localisés.
Patrick Martin prône de son côté des solutions extérieures : plus de liberté réglementaire pour les entreprises, des mesures fortes prises au niveau européen pour tenir tête aux géants américains et chinois, et une réduction drastique des dépenses publiques.
Un plaidoyer pour une Europe forte et offensive
Malgré un tableau alarmant, le Medef refuse de céder à la fatalité. Sa stratégie passe par une diplomatie patronale active. Patrick Martin revendique des relations étroites avec ses homologues européens, et une multiplication des initiatives communes pour peser sur la Commission européenne. Objectif : endiguer la surenchère normative, alléger les contraintes réglementaires de la CSRD (reporting de durabilité) ou du devoir de vigilance, et défendre une économie européenne compétitive. Il évoque cette « diplomatie économique », force discrète, mais efficace qui peut faire peser la balance.
L’Europe est également brandie tel un manuel de bonnes pratiques par Patrick Martin. « C’est à la fois enrichissant et rassurant pour nous de parler avec nos voisins. Après tout, qui aurait parié il y a quelques années que le Portugal soit en excédent budgétaire aujourd’hui, que l’Italie ait un déficit public qui en un an est passé de 7,2 % à 3,6 %, pour être maintenant sur une trajectoire inférieure à 3 % ? Cette observation permet d’identifier des voies et moyens qui permettraient à la France, en reproduisant ce qui s’est fait dans ces pays-là, de redresser la tête ».
« Nos meilleurs alliés, paradoxalement, ce sont parfois les Américains eux-mêmes », glisse-t-il, en évoquant les effets boomerang des mesures protectionnistes de Donald Trump, qui pénalisent déjà les marchés américains. D’après Patrick Martin, il faut tenir tête et ne pas oublier que l’Europe compte 450 millions de consommateurs, et représente le plus gros débouché commercial des entreprises américaines sur les biens et services, notamment digitaux. Il insiste : « si le gouvernement américain va trop loin dans sa politique d’agressivité commerciale et bien l’Europe ripostera, de manière proportionnée, mais ripostera ».
Ne pas sacrifier l’économie sur l’autel de l’austérité
Face au mur budgétaire français - une dette publique de 3 300 milliards d’euros, principalement détenue par des créanciers étrangers - Patrick Martin appelle à une action rapide, mais ciblée : « Il va falloir prendre des mesures rigoureuses, mais pas sur le dos de l’activité économique ». Il fustige également l’absence de cap politique, appelant les parlementaires à retrouver un « sens des responsabilités ». C’est également un sursaut de lucidité que le Président du Medef cherche à provoquer « Il y a une impérieuse nécessité à ce que tous les Français prennent conscience de la gravité de la situation et de l’incapacité dans laquelle est la France, ne serait-ce qu’à soutenir des filières qui seraient menacées par cette guerre commerciale mondiale qui se joue parce qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses. Ce qu’on a pu faire au moment de la crise sanitaire, on ne peut absolument plus le faire aujourd’hui. »
La solution ? Un patchwork de mesures telles que la réindustrialisation de la France, l’ouverture à de nouveaux marchés (Asie, Inde, Amérique latine), un soutien à l’investissement et à l’innovation, le tout, sans céder au repli nationaliste. « Casser le commerce mondial ne ferait que provoquer une récession terrible », prévient-il. C’est avant tout une recherche d’équilibre et un savant mélange de mesures qui, mises bout à bout, devraient permettre à la France et à l’Europe de traverser les turbulences actuelles.
Le Medef, acteur politique au service du collectif
Enfin, Patrick Martin a tenu à rappeler le rôle souvent méconnu du Medef dans la gestion paritaire des grands organismes sociaux : Action Logement, AG2R, Agirc-Arrco, AGS. « Ce que nous faisons ne sert pas seulement les entreprises, mais la collectivité tout entière. »
Sa visite à Bayonne, loin d’être symbolique, visait aussi à « ne pas se tromper dans les analyses » et à « relever les compteurs », selon les mots complices de Bruno
Arcadipane. Une manière de rappeler que si le Medef parle souvent depuis Paris, il puise sa légitimité au cœur des territoires. Une proximité essentielle, dans un pays où la remontée des taux d’intérêt pratiqués sur les marchés financiers, ou un arbitrage défavorable des investisseurs, pourrait rapidement fragiliser l’économie.
Pour terminer sur une touche optimiste, Patrick Martin déclare qu’il existe des solutions, que le Patronnariat est aujourd’hui « inquiet, mais pas tétanisé ». Entre mesures courageuses et positions fermes face à des acteurs mondiaux féroces, la France a les armes pour se défendre, semble-t-il.
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