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Économie

Anatomie de l’entreprise FAMILIALE

© Kzenon - stock.adobe.com

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Abattant le mythe de « l’entreprise familiale » résiliente et vertueuse, Bpifrance Le lab dresse une typologie de ces entreprises. De la « stratège ouverte » à la « familiale enracinée », toutes n’ont pas les mêmes chances de survie.

Leur poids dans l’économie ? Massif. Les entreprises familiales représentent 48 % des PME et ETI en France, selon Bpifrance Le lab. Le 20 septembre dernier, lors d’une conférence de presse en ligne, le laboratoire d’idées de la banque publique d’investissement dévoilait une étude consacrée aux « entreprises familiales à l’épreuve des générations ». Elle a été réalisée avec Transmission Lab, incubateur de transmission qui vise à développer une culture de la transmission d’entreprises en France et Family Business Network France, qui regroupe dirigeants, futurs dirigeants et actionnaires d’entreprises familiales. À la base, selon la définition européenne, les entreprises dites familiales sont celles où une famille détient une part significative, voire majoritaire du capital ainsi que la majorité des droits décisionnels. Autre caractéristique : une volonté de transmission. Mais ces entreprises partagent aussi d’autres traits : « Elles ont la volonté de conserver leur indépendance financière. Chez elles, l’arbitrage est net. La croissance, oui, mais à condition qu’elle ne mette pas en danger l’indépendance de l’entreprise », observe Élise Tissier, directrice de Bpifrance Le lab. Plus surprenant, parmi les traits de l’entreprise familiale révélés par l’étude figure un taux sensiblement plus élevé de féminisation de la direction par rapport aux autres entreprises (12 %, contre 8 %). Et aussi, une plus grande jeunesse de ses dirigeants : 10 % d’entre eux ont moins de 40 ans, contre 5 % dans les entreprises non familiales. « Il s’agit d’une très bonne nouvelle dans le contexte de triple transition, digitale, environnementale et sociétale auquel sont confrontées les entreprises » estime Nadia Nardonnet, présidente de Transmission Lab.

Beaucoup moins positif, « il existe peu de gouvernance familiale, c’est-à-dire un lieu où la famille peut discuter de son engagement dans l’entreprise, de son projet », poursuit-elle. Une telle instance – comme un conseil de famille – n’existe que dans 24 % des entreprises concernées ! Par ailleurs, ces sociétés n’anticipent pas suffisamment la transmission, même si, tempère Nadia Nardonnet, « il semble que la Covid ait contribué à faire évoluer la manière de voir les choses. Aujourd’hui, cette préoccupation est plus présente, en toile de fond».

Dynamiques et sclérosées

Par delà ces facteurs communs aux entreprises familiales, Bpifrance Le lab les classe en cinq modèles dont le poids diffère dans l’économie. La catégorie la plus fournie, celle de la « familiale enracinée », représente 28 % de l’échantillon de l’étude. Dans ce cas, l’entreprise se confond littéralement avec la famille. Attachée à son identité, elle met l’accent sur la continuité de l’activité historique. Vient ensuite la « familiale managériale » (20 %) : la famille qui reste au capital a ouvert l’entreprise aux compétences extérieures (dirigeant salarié, administrateurs indépendants…). Troisième catégorie, la « stratège ouverte » (18 %) : celle-ci utilise des outils de gouvernance et s’implique dans des projets novateurs. Viennent ensuite, à égalité (17 %), l’entreprise en « début de cycle familial », encore dirigée par son fondateur, et celle en « fin de cycle familial », dont la famille entend se défaire en vendant à une autre entreprise.

Selon l’analyse de Bpifrance le lab, l’entreprise « stratège ouverte » présente le profil « idéal », pour faire face aux enjeux de la transformation de l’économie, tout en conservant sa dimension propre. En effet, elle est la seule à avoir significativement structuré sa gouvernance familiale : 62 % d’entre elles disposent d’un conseil de famille, soit trois à quatre fois plus que les autres. Et elle conjugue un attachement fort à son implantation historique et à son ADN – au point d’être capable de renoncer à des projets stratégiques – avec une forte ouverture au changement. Et ce, qu’il s’agisse de son fonctionnement, par exemple en recourant à des compétences extérieures, et de ses projets qui n’excluent pas forte croissance et export. Ces entreprises sont également fortement orientées vers la RSE. Par ailleurs, ce sont également celles qui indiquent le plus nettement un désir de transmettre au sein de la famille : 83 %, contre 52 % de celle en début de cycle, 47 % des familiales managériales et 75 % de celles « enracinées ». Ce modèle-ci ressemble presque à un miroir inversé des stratèges : fermée à la nomination d’un directeur général extérieur à la famille, l’entreprise est peu tournée vers l’export et l’innovation. Elle perçoit la RSE comme une contrainte et est peu disposée à réaliser des investissements requis par l’urgence climatique.

Quand grand-père ne lâche pas…

Lors de la présentation de l’étude, Caroline Poissonnier, déléguée régionale Nord de Family Business Network et directrice générale du groupe Baudelet Environnement, était venue témoigner. La société spécialiste de la collecte et du traitement des déchets dans le nord de la France et en Normandie (200 millions d’euros de chiffre d’affaires, environ 600 salariés) fait figure d’exemple emblématique d’entreprise « stratège ouverte ». Caroline Poissonnier, qui l’a reprise avec son frère, représente la « troisième génération ». « Quand nous avions cinq ans, nous faisions du vélo dans l’entreprise. Pour nous, ce n’est pas un distributeur de dividendes. L’entreprise porte le nom de mon grand-père ; elle est très enracinée dans le territoire. Mais nous avons la conviction que pour durer, il faut savoir évoluer. Nous avons des ambitions de croissance forte, toujours adaptée à nos valeurs », témoigne la jeune femme.

Elle le reconnaît, le passage de flambeau n’a rien de simple et la préparation de la transmission est essentielle. Sur ce sujet, l’entreprise avait déjà une expérience avec le passage de la génération précédente. Avec le « grand-père de 93 ans qui restait », distribuait le courrier et ses commentaires sous forme de « je n’aurais pas fait comme cela… », sapant quelque peu la position des successeurs… « Mes parents ont mal vécu ce manque de confiance. Ils ont eu l’intelligence de se dire qu’ils allaient anticiper, passer les clés », relate Caroline Poissonnier. Après une phase de transition d’une petite année, ils se sont abstenus de venir au bureau… Actuellement, l’entreprise est en train d’élaborer son projet à 2035. Encore confidentiel, il sera dévoilé aux salariés en décembre prochain. Seule certitude, « cela va marquer un tournant. Nous voulons changer d’échelle. Nous allons continuer à investir dans nos métiers qui génèrent du résultat et nous permettent de réinvestir pour explorer les autres métiers où nous voulons être demain. Nous voulons nous diversifier, mais sans mettre en danger notre indépendance financière », conclut la dirigeante.