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Vie locale

À la découverte de... " Les Hirondelles"

Ouvrières à l'usine Cherbero à Mauléon © Association Ikerzaleak Mauléon-Licharre

Ouvrières à l'usine Cherbero à Mauléon © Association Ikerzaleak Mauléon-Licharre

Cette semaine nous vous emmènons à Mauléon-Licharre, en Soule, pour un nouveau voyage dans le temps, à la rencontre des hirondelles.

C’est à partir du roman d’Anne-Gaëlle Huon, Les Demoiselles (1), que nous vous proposons l’histoire de ces femmes qui firent pendant près d’un demi-siècle, de la fin du 19e siècle jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, le voyage depuis l’Espagne vers le village de Mauléon pour y travailler comme sandalières dans les usines d’espadrilles.

Elles avaient entre 15 et 25 ans, n’avaient pour seul bagage qu’un petit baluchon et étaient prêtes à affronter la dangereuse traversée des Pyrénées, à pied, pour rejoindre, depuis la Navarre et l’Aragon, ce village du Pays Basque français. Leurs motivations étaient de gagner un peu d’argent, se constituer un trousseau et vivre quelques mois de liberté, quittant l’obéissance de leurs pères pour s’émanciper en tant que femmes avant de retourner se marier dans leurs villages natals. La migration avait lieu chaque année à la fin de l’automne, lorsque les travaux en extérieur, prenaient fin. Elles n’empruntaient pas toutes le même itinéraire, cependant il en est un qui fut majoritairement fréquenté. C’est ainsi que beaucoup de jeunes femmes se rassemblaient à Isaba, petit village frontalier, avant de prendre la route, à pied, jusqu’à Sainte-Engrâce et les grottes de Kakuetta, de l’autre côté de la frontière, où les attendaient des charrettes qui leur permettaient de terminer le voyage.

Il n’était malheureusement pas rare que certaines perdent la vie pendant cette traversée qui durait minimum deux jours. La nuit, pour échapper aux contrôles, le froid, la pluie, parfois la neige, la fatigue, ainsi que les sentiers escarpés à flanc de montagne, étaient autant de dangers dans leur périple. Elles étaient généralement guidées par les jeunes filles expérimentées qui connaissaient déjà l’itinéraire pour l’avoir pratiqué la ou les années précédentes.

Elles étaient toujours bien apprêtées, comme en témoignent les photographies les montrant souriantes, vêtues de noir, leurs chemisiers blancs ressortants sur les textiles foncés, les cheveux relevés en chignon. Elles partaient pour la saison hivernale et étaient de retour chez elles au printemps. C’est cette temporalité, associée à leur allure, qui leur valurent ce surnom d’hirondelles.

La capitale souletine en accomplissement du périple

Mauléon fût l’un des premiers villages de France a avoir été électrifié, ce qui lui permit de vivre sa révolution industrielle en implantant plusieurs usines hydroélectriques sur le Gave, développant ainsi le marché de l’emploi et l’imposant rapidement comme la capitale de l’espadrille. La fabrication d’espadrilles devint en effet une activité florissante, car la chaussure, flexible, légère et respirante, grâce à sa semelle en caoutchouc et à sa toile de coton, était très prisée par les mineurs, qui en consommaient jusqu’à une paire par semaine. Malgré cet essor industriel, de nombreuses étapes dans la fabrication du soulier restèrent peu mécanisées, nécessitant une abondante main d’œuvre.

Au même moment, nombreux étaient les jeunes gens qui quittaient les campagnes et les vallées pour migrer vers l’Amérique – États-Unis, Argentine, Colombie ou encore Chili – et y trouver du travail. C’est ainsi qu’à partir de 1875, le village, manquant d’ouvriers, vit arriver ces jeunes femmes espagnoles, non qualifiées, mais habiles de leurs mains et prêtes à travailler jusqu’à quinze heures par jour sans rechigner. Les témoignages racontent que leur vie pendant ces mois passés en France n’était pas évidente. Elles gagnaient très peu d’argent et étaient logées ensemble dans de modestes maisons ; pour autant elles marquèrent les esprits par leurs tenues toujours impeccables, leurs danses et leurs chants et surtout leur vivre-ensemble.

Combien étaient-elle chaque année à tenter le voyage ? Les données chiffrées sont rares, mais des dizaines assurément et même jusqu’à plus d’une centaine dans les meilleures années. La crise économique des années 1930 et la guerre civile en Espagne marquent la fin progressive de l’immigration des hirondelles.

Jusqu’au début des années 2000 et le travail de mémoire de Véronique Inchauspé (2), l’histoire de ces femmes était peu connue, principalement transmise à travers les témoignages et les photos de leurs familles. Témoignages en français pour certains, puisque quelques-unes ne sont jamais rentrées, ayant trouvées chaussure à leur pied à Mauléon.

(1) Anne-Gaëlle Huon, Les Demoiselles, Editions Albin Michel, 2020.
(2) Véronique Inchauspé, Mémoires d’hirondelles, Editions Uhaitza et Ikerzaleak, 2000.